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    1. Rédaction et composition de la nouvelle

    Nerval a travaillé à la rédaction d’une première version, La Pandora[1], à l’automne 1853 chez le docteur Emile Blanche, mais Paris, le journal qui devait la publier[2] dans un album le jour de l’an, est supprimé le 8 décembre de cette année. Puis Nerval a rédigé une deuxième version, Pandora, à l’automne 1854. La première partie en a été publiée, le 31 octobre 1854, sous le titre Amours de Vienne, Pandora, dans Le Mousquetaire, journal d’Alexandre Dumas; mais Nerval semble avoir émis des réserves sur cette publication dans la mesure où elle aurait dû être rattachée aux Amours de Vienne. Quant aux épreuves de la deuxième partie, qui devaient être publiées le 1er janvier 1855, elles se sont retrouvées dans les bureaux du Mousquetaire, incomplètes, décousues, peu compréhensibles, et contenant des écrits antérieurs de Nerval, tant et si bien qu’Alexandre Dumas a renoncé à publier ce texte déconcertant. Il le fut cependant en 1921[3] ; et se répandit, par exemple dans l’édition du Livre de poche. Puis, en 1968, Jean Guillaume publie un nouveau texte, plausible, logique, fondé par la confrontation des différentes versions manuscrites, un texte intitulé Pandora, qui fait autorité.

    Mais, en vérité, de cette deuxième partie, nous ne savons pas quel texte ni quelle composition Nerval avait, ou aurait, finalement retenus ; et de la première partie, nous ne savons pas comment Nerval l’aurait rattachée aux Amours de Vienne. Pandora reste donc mystérieusement et à jamais un texte morcelé et inachevé.

     

    2. Nerval à Vienne

    Ce récit reprend un épisode de la vie de Nerval qui se serait déroulé à Vienne, de la Saint-Sylvestre de 1839 au 1er janvier 1840, puis dans « une grande capitale du Nord », un an plus tard.

    Du 19 novembre 1839 au 1er mars 1840[4], Nerval était à Vienne en mission officieuse, une « mission littéraire » (Alexandre Weill). Il faisait excellente figure dans la haute société viennoise ; il y rencontra Liszt en 1839, et Marie Pleyel, pianiste aux yeux sombres et aux bandeaux noirs, à la fin de décembre de cette même année. Pandora ferait allusion à cette dernière.

    Une lettre de Vienne du 26 novembre 1839 écrite à son père signale des difficultés financières. Un récit d’Alexandre Weill[5], signale sa pauvreté et le montre amoureux et accompagné d’une belle Hongroise nommée Rosa.

    Nerval retrouva Marie Pleyel à Bruxelles à la fin de l’année 1840, et sur son entremise y revit Jenny Colon.

    Ebranlé par une crise psychique, Nerval fut interné à Paris de février à novembre 1841, chez Mme de Saint Marcel, puis à la clinique du docteur Esprit Blanche[6].

    3. Les Amours de Vienne.

    Dans la lettre du 2 ou du 3 novembre 1854 adressée à Alexandre Dumas, Nerval indique que Pandora fait suite aux Amours de Vienne dans Voyage en Orient[7]. Ce dernier texte se présente comme un récit de voyage de Nerval[8].  Il s'achevait sur la phrase suivante : « ...et pour ce que j'aurais à dire encore, je me suis rappelé la phrase de Klopstock :  Ici la discrétion me fait signe de son doigt d'airain. » , ce qui laisse la place pour une narration telle que Pandora.

    Ce récir de voyage offre d'abord tout un matériau littéraire qui sera réutilisé dans Pandora dans une perspective bien différente. Y figurent Kathi, bionda e grassotta, Wahby la bohême, le glacis, les faubourgs, les portes et les théâtres de Vienne, l’enseigne représentant l’archiduchesse Sophie, le stock-im-eisen, un récit de Saint-Sylvestre, le vin neuf et le vin vieux, les côtelettes, les serveuses charmantes de la taverne, les allusions à Hoffmann, la monnaie de convention, Schoenbrunn et ses chimères de marbre, le prater, une allusion à Maria-Hilf, les thèmes de la discrétion, de la confidence, et de la catastrophe.

    Il offre par ailleurs le récit d'une rencontre avec une belle actrice, dont le nom ets tu, qui a une loge au théâtre de la porte de Carinthie, et qui pourrait bien préfigurer le personnage de Pandora.

    Mais que de différences entre le texte des Amours de Vienne et celui de Pandora ! D’une part n’y figurent ni le nom de Pandora, ni Pandora à proprement parler, ni l’humiliation au théâtre, ni les rêves, ni l’aspiration au divin qui transparaît dans les allusions mythiques ; le récit de la Saint-Sylvestre ne correspond pas à celui relaté dans Pandora. D’autre part, dans les Amours de Vienne, les éléments semblent appartenir au quotidien et sont racontés avec un détachement enjoué, une distance qui les tient à leur vraie place ; mais dans Pandora ils semblent chargés d’un sens symbolique et à demi mystérieux, dotés d’une grande charge affective et vécus dans l’exaltation.

    Malgré ces différences, Nerval parle de « suite » », présentant Pandora comme la révélation d’événements qui ont été tus dans Amours de Vienne. En fait, au fil du temps, des éléments de 1839, réutilisés et redistribués, ont reçu une valeur poétique et symbolique, et  la réflexion de l’écrivain et le travail de l'écriture les ont réordonnés, en ont modifié le sens, voire, si l'on évoque la folie de Nerval modifié la perception. Dès lors Pandora est bien une suite, dans le sens où il est une conséquence des Amours de Vienne, à la fois le résultat de l’évolution psychologique et de la démarche littéraire d’un écrivain désireux de refondre son matériau ; dans les deux cas un premier travestissement du réel (Les Amours de Vienne sont une construction fictionnelle de Nerval) aurait été remplacé par un autre. Dans l’œuvre de Nerval, cette réutilisation d’éléments anciens est fréquente. 

    4. Pandora : indéchiffrable, connue de tous, multiple.

    D’entrée le narrateur pose une énigme : celle de Pandora, « indéchiffrable » comme la pierre de Bologne, et à propos de qui il censure son récit : « je ne veux pas dire tout ». Le fait qu’il s’adresse à un cercle restreint « ô mes amis », et qu’il ait présenté la nouvelle comme extraite d’une « lettre confidentielle »[9], indiquent que peu d’éléments d’explication filtreront du récit. L’énigme se double d’un paradoxe : Pandora est « indéchiffrable » mais la nommer c’est « tout dire », et vous l’avez « tous connue » ; elle est donc inidentifiable mais identifiée. Certains indices du premier paragraphe de la nouvelle nous indiquent diverses pistes.

    Ainsi Pandora ne serait-elle qu'une femme facile ? Le « Vous l’avez tous connue » et les allusions de la nouvelle à une bayadère aux épuales nues, ou à Imperia et Jézabel dans La Pandora, confortent cette interprétation. Mais à ce moment on ne voit guère ce qu’il y a d’indéchiffrable dans son personnage.

    Pandora ne serait-elle que celle qui a tous les dons ? La beauté, le charme, les dons de l'actrice, de la musicienne, des dons heureux donc et dans le mot Pandora se fait entendre le verbe « adora », mais Pandora possède aussi les dons de Pandore qui font le malheur de l'humanité  -hormis l'espoir, visiblement absent à la fin de la nouvelle « Quand finira mon supplice ? »......

    Pandora : un nom tiré de la mythologie ; il n'appartient pas, à la différence de ceux  d'Angélique, d' Octavie, de Sylvie à une liste de prénoms usuels ; il ne renvoie pas au monde bienveillant des femmes aimées ou admirées mais au monde des êtres créés par artifice (Pandora est elle-même qualifiée d'artificieuse) et qui se révèlent malveillants. Si Angélique, Octavie, Sylvie possèdent des prénoms d'êtres naturels, elles sont aussi l'occasion d'une rêverie onirique ou d'une quête où se plaît le narrateur et où se révèle son âme ; point cela dans Pandora où le narrateur traverse des cauchemars, où il fuit au lieur d'être le pèlerin des amours passées, où il agit de façon désordonnée, folle, perd l'esprit, au lieu de suivre le cours de la rêverie narrative heureuse. Pandora est donc indéchiffrable, à la différence des autres héroïnes du narrateur qui ont donné du sens à son « je ».

    Pandora n'est « ni homme, ni femme, ni androgyne, ni fille, ni jeune, ni vieille, ni chaste, ni folle (….) ni tout cela ensemble » Le narrateur reprend en partie l'inscription d'une pierre tombale dite de Bologne, (en remplaçant  d'ailleurs pudiquement le terme de prostituée, qu y figurait, par celui de folle). Pourquoi cette référence à la Pierre de Bologne, pourquoi expliquer ou plutôt impliquer une énigme dans une autre ? On ne sait pas quelle interprétation Nerval donnait de cette pierre, ni à quelles significations alchimiques il l' aurait peut-être reliée, ni si cela renvoie donc à une nature surnaturelle de Pandora. Mais on peut lire le début de l'inscription de la pierre de Bologne et y voir un ensemble de contradictions  ensemble agrégées pour former un tout: elle présente donc un non-être ; quelle que soit la qualité envisagée, ni elle ni son contraire ne lui correspond ; il s'agit donc d'une impossibilité, d'un non-être qui se réalise ; il est par ailleurs, définitivement, comme un tombeau, une chose close et morte.

    Ce principe de contradiction définit la fiction : ceci est une pipe qu'a peinte Magritte, qui indiquera que ce n'est pas une pipe ;  cette pipe fume, mais elle ne fume pas ; de façon plus générale, ceci , ce personnage, cette situation littéraire, je l'ai inventée, donc elle est, et elle n'est pas réellement puisque je l'ai inventée.  La fiction existe mais n'est pas.

    Ainsi en va-t-il de Pandora : elle n'est qu'une fiction, nous fait comprendre le narrateur: elle existe sans avoir existé ; elle est une chose close et morte ; elle n'est plus aucune femme qu'il a rencontrée,  ni Marie, ni Rosa, ni Jenny, ni blonde, ni brune, mais une abstraction, une représentation, un symbole, une idée.

     A ce moment-là, le narrateur nous présente une Pandora qui n'a pas existé en tant qu'être vivant croisé par Gérard de Nerval, mais qui existe en tant que création littéraire. Elle n'a pas à avoir un nom ou des qualités, mais juste à être par exemple Eros et Antéros,  ou la sincère et la coquette, le désir et la répugnance,une chose et son contraire, agrégés ensemble, un concept d'impossibilité amoureuse.

    Dans Pandora, cette fiction se révèle dangereuse ; comme  Nathanaël  dans l'Homme au sable d' E.T.A. Hoffmann tombant amoureux de l'automate Olimpia, se créant son propre tourment et courant à sa propre perte,  le narrateur de Pandora, de Gérard de Nerval crée un être fictif, sa propre chimère, son propre malheur. Pandora, une fiction qui manipule son créateur, une comédienne qui fait tourner le têtes, qui aime collectionner les pantins au propre comme au figuré, qu'ils soient ceux de Nuremberg, ou ses admirateurs, dont le narrateur lui-même ; un narrateur jouet de sa créature, un jouet dont l'on décide du costume noir et à qui l'on donne des rôles qui lui déplaisent : charades, artifices...

    Le personnage de La Pandora, confronté à l'inscription de la pierre de Bologne suggère donc qu'elle n'est ni un homme, ni une femme, etc, donc qu'elle ne relève pas de l'humanité mais de la fiction (elle est sans être) chimérique (une synthèse agrégeant des contradictions). Puis le récit de Pandora, comparé à celui de L'Homme au sable présente cette fiction, cette chimère, cette être inventé comme torturant son inventeur.

     

    Par ailleurs, Pandora est « du théâtre de Vienne » et à ce titre prend tous les rôles, ce qui explique qu’elle puisse être «ni  homme, ni femme, ni androgyne, ni fille, ni jeune, ni vieille (…) mais tout cela ensemble », comme une actrice, qui change de costume au Palais de France et dont les dispositions envers le narrateur changent ; elle incarne ainsi la femme éternellement mouvante, éternellement elle-même, éternellement incompréhensible et déstabilisante ; une femme qui « joue » dans les deux sens du terme, et donc incertaine et indéfinissable ; elle est Pan-dora, celle qui a tous les dons, le don d’être qui elle veut, un personnage multiple.

    Multiple dans la mesure où elle se prête à toutes les interprétations et correspond au vécu de tous « Vous l’avez tous connue, ô mes amis ! » ; ainsi Pandora peut-elle représenter tout ce qui est charme ou souffrance :amour,  folie, mort, manque d’inspiration, erreur. Ceci aussi explique que chacun des amis ait pu rencontrer sa Pandora personnelle sous une forme ou sous une autre : « ô mes amis ! »  vous avez tous rencontré ce type de situation, tous vous avez été confrontés au mythe de Pandora. D’autant que les commentateurs[10] indiquent que Pandora doit être un condensé de plusieurs femmes célèbres : Marie Pleyel, Jenny Colon …

    Multiple, Pandora l’est dans la mesure où elle est femme et sirène (sa harpe « aux enlacements de sirène dorée » l’atteste, ainsi que son langage ésotérique, mi-écrit, mi-musical, aux « arpèges mystérieux » qui semble aussi ondoyant que le corps de la sirène) ; femme surnaturelle, hybride, danseuse aux « pieds serpentins  et aux deux cornes d’argent ciselé » au début du rêve du narrateur ; ces cornes rappellent les croissants qui coiffent Isis ou Artémis et suggèrent la nature divine de Pandora. Elle est à ce moment-là multiple, dans la mesure où comme la sirène, elle est femme, animal et divinité, mais aussi parce qu’elle possède la séduction de la sirène, au corps ondulant et au mouvement mille fois changeant.

    Elle rappelle les ondines de Nerval comme « cette fille des eaux qui se nommait Octavie »[11], ou la Reine des poissons de Sylvie, ou la nixe de Lorely. « Vous la connaissez comme moi, mon ami, cette Lorely… » [12].  Cette première phrase de la préface de Lorely ressemble à la première phrase de Pandora : « Vous l’avez tous connue, mes amis, la belle Pandora du théâtre de Vienne »; et Nerval ajoute dans Lorely,[13] : « Je devrais me méfier de sa grâce trompeuse,- car son nom signifie en même temps charme et mensonge ; et une fois déjà je me suis trouvé jeté sur la rive, brisé dans mes espoirs et dans mes amours, et bien tristement réveillé d’un songe heureux qui promettait d’être éternel. » Dans Lorely  l’« ondine fatale », figure du charme et du mensonge, de l’obsession et de l’échec, désigne l’attirance du narrateur pour l’Allemagne et lui permet de justifier son voyage en ce pays et son récit ; la Lorely apparaît donc comme multiple elle aussi car elle recouvre, superpose une pluralité de significations : un pays, une séduction, un malheur, un récit. Et les mots pourraient s’appliquer à Pandora. Dans les deux textes, Lorely et  Pandora, des personnages ondulants et multiples, sont l’allégorie d’une souffrance.

    Pandora est donc un mythe polymorphe dont chacun a pu faire l’expérience, un mythe qui renvoie à la beauté et à l’amour, au charme et à la mort, à la chute et au supplice, un mythe qui renvoie à celui de Prométhée ; il suffit donc de dire son nom pour tout dire, puisqu’il symbolise l’histoire entière d’une quête échouée. Peut-être le seul nom de Pandora renferme-t-il en lui même une force évocatrice, dont la seule mention suffit à libérer le pouvoir magique et maléfique.

    5. Pandora, le récit d’une crise

    La souffrance du narrateur apparaît d’abord quand il est en présence de Pandora : de la honte, de la colère, des fuites et des courses précipitées. Ainsi, après avoir été humilié par Pandora dans le boudoir de celle-ci, il ressent de l’amertume ; « Chacun de ses mots m’entrait au coeur comme une épine » ; il éprouve alors du désespoir, de la honte, puis un « fol espoir » ; on trouve dans cette scène des verbes de mouvement rapide : « je me hâtai », « je me précipitai », « je traversai rapidement la Rothenthor ». Puis, après avoir été humilié au palais de France par Pandora, en colère, il s’enfuit en renversant un paravent ; il écrit quatre pages d’un style « abracadabrant » ; il n’arrive pas à dormir, puis a d’étranges visions, les Memorabilia ; il se lève « comme un fou » ; puis en rage il est pris par  « la fièvre » ; il connaît alors l’amertume à Salzbourg ; il fuit de nouveau brutalement à la fin du récit.

    A ce moment-là, qui est Pandora, qui est le sujet du récit, sinon la folie elle-même ? Non pas un personnage mais un « tout cela », un trouble totalement envahissant, un monstre, un « cela » sur lequel le sujet n’arrive pas à mettre un nom précis. Pan-dora, tous les dons, les éléments complexes de la crise nerveuse. A ce moment-là, on comprend que le narrateur confonde son amour et son mal, et que cette femme, d’une fascination qui pousse à  la fuite, symbolise, cristallise sa souffrance.

    Il s’agit d’une souffrance qui ne passe pas avec le temps. Le supplice d’un Prométhée pourtant délivré (« Alcide m’a délivré ») en est l’allégorie : il est intense, et survit à la délivrance et au temps (« je sens encore à mon flanc le bec éternel du vautour »). 

    C’est le récit même que vient de faire le narrateur qui a ravivé cette douleur ; en effet, si la nouvelle s’était ouverte sur un  appel, grave certes, mais mesuré,  à partager une confidence : « ô mes amis ! … de cruels et doux souvenirs », elle se ferme sur un cri exalté et déchirant : « O Jupiter quand finira mon supplice ? », un cri dont les amis ont disparu, le « je » du narrateur et sa souffrance ayant envahi le texte.

    Mentionnons aussi le thème du suicide, quand le narrateur évoque, même s’il plaisantait mélodramatiquement, la possibilité de se noyer en se jetant dans le Danube, à l’île Lobau, ou de se « percer le cœur ».Et les Memorabilia, le récit de ses rêves, mentionnent tête tranchée et déluge,  allusions indices d’une pulsion de mort.

    Enfin, dans cette nouvelle, Gérard de Nerval reprend le thème de la destruction présent dans l’histoire de l’Illustre Brisacier, qui envisagea de se suicider en se jetant par la fenêtre de l’auberge où il était retenu, ou en se perçant de son épée, mais aussi de brûler le théâtre où il avait joué[14]. Dans Pandora, la destruction est représentée par le fait que le narrateur renverse le paravent où se dissimulent les acteurs, révélant par ce geste de rage leurs artifices ; il déclare dans Pandora « Je critiquai sa boite à malice » ; or ce qu’est la boîte à malices d’un prestidigitateur, c’est une réserve d’artifices ;  ce que contient la boîte à malice de Pandora, ce sont justement des accessoires vains et puérils au regard de Brisacier qui aspire à un théâtre qui mette le moi en jeu. Le narrateur de Pandora associe ainsi destruction et révélation[15] : il dénonce un genre de théâtre qui lui est insupportable.

    Par ailleurs, peut-être Nerval a -t-il à l'esprit le souvenir d'autres destructions mythiques. A la mort du Christ le rideau du temple se déchira ;  à cause de la traîtresse Dalila Samson détruisit un temple[16] .

    Pourquoi cette crise ? Pandora est pourtant charmante et favorable au narrateur ; d’une certaine façon elle le taquine, ce qui fait partie des joutes amoureuses, et l’invite à venir chez elle, à aller au Prater, lui saute au cou après sa lettre extravagante, l’invite à la rejoindre souriante, quand ils se rencontrent dans la « froide capitale du nord ». Bien des héros de roman s’en contenteraient.

    Pourquoi la présence de Pandora entraîne-t-elle la rage et la fièvre du narrateur ? En quoi est-elle la cause d’une telle souffrance ?

    D’abord en raison du profond sentiment d’échec qu’éprouve le narrateur.

    6. Pandora et le sentiment de l’échec.

     

    Le narrateur vit ses rencontres amoureuses avec Pandora comme des humiliations[17],  jusqu’au moment où il s’en arrache une première fois, quand il décide de partir pour Salzbourg, en fuyant : « Je me gardai bien de me soumettre à une nouvelle humiliation »; puis une deuxième lorsque, d’abord cloué « sans forces sur le sol », il part à toutes jambes sur la place d’une « froide capitale du nord ». Face à Pandora, la fuite semble être souvent la seule solution. En vain finalement, semble-t-il, puisque cloué il restera, cloué dans sa souffrance, comme Prométhée, immobilisé, dans l’impossibilité ou l’impuissance. La vraie fuite, c’est-à-dire celle qui le délivrerait définitivement, guérison ou suicide, le narrateur ne peut la réaliser : nouvel échec.

    Alors les bamboches, ces marionnettes, les poupées de Nuremberg, que voit le narrateur dans  Vienne et que lui propose Pandora, peuvent désigner Nerval comme un pantin, le jouet d’une passion qu’il ne domine pas.

    On trouve dans le récit bien des frustrations. Le duel avec le Prince, chez Pandora, (« nous nous escrimions dans l’air ») n’est qu’une gesticulation ou qu 'un assaut verbal. Pandora ne lui autorise qu’un costume d’abbé, noir, sans éclat, à la différence des costumes éclatants des Hongrois de la nouvelle[18] ou des soldats de l’armée napoléonienne parmi lesquels marchait le père de Gérard de Nerval.

    Plusieurs allusions expriment une nostalgie à l’égard des conquérants d’autrefois : il ne reste de Napoléon et de la Grande armée qu’un juron dit par une décrotteuse ; l’ombre de l’empereur Richard est évoquée, dans la taverne des Chasseurs. Le narrateur n’est pas un des paladins à l’héroïsme sacré qu’il évoque dans le deuxième paragraphe, et qui ont défendu Vienne : « …le Magyar jaloux, le Bohême intrépide, le Lombard généreux mourraient pour te défendre aux pieds divins de Maria-Hilf »et cette évocation peut  renvoyer le narrateur à un sentiment de regret, d’infériorité, d’échec.

    A cela s’ajoute la présence d’idéaux impossibles : l’archiduchesse, les amours de jeunesse, l'autre... ; l’impossibilité de se défaire de la présence des femmes[19], de s’en libérer ; l’impossibilité de comprendre, identifier, nommer Pandora aux arpèges mystérieux, au charme invincible. Ce n’est qu’en rêve, que la femme trompeuse, représentée par Imperia dans La Pandora, sera démasquée et identifiée.

    Parmi tous ces échecs, certains sont imputables à Pandora, d’autres relèvent simplement de la personnalité du narrateur. Ils font de Pandora un personnage qui, en plus d’incarner le charme, l’éternelle mouvance de l’apparence et de symboliser la folie, cristallise toutes les impossibilités, celle qui met le narrateur face à ses échecs chevaleresques, et amoureux qui se succèdent et s’enchevêtrent, et, une fois emmêlées deviennent tout cela, une indéchiffrable énigme, comme la pierre de Bologne.

    Une autre des raisons enfin pour lesquelles Pandora entraîne une crise et souffrance est qu’elle représente une imposture mystique : elle ne peut satisfaire le désir d’idéal du narrateur.

    7. Les insuffisances de Pandora. 

    7.1. La tromperie et le désir de connaissance.

    Pandora utilise une harpe dont la crosse figure « les enlacements d’une sirène  dorée »  et faisait semblant d’écrire une lettre enchanteresse; comme les Sirènes de l’Odyssée et la Pandore de la mythologie, elle me semble représenter la tromperie : les Sirènes proposaient la connaissance à Ulysse pour le perdre; la connaissance était transmise aux hommes par Prométhée, mais Pandora ne possède qu’une « boîte à malice », à artifices.

    Son charme procède d’une apparence. Elle n’est qu’une comédienne aux vêtements ajustés[20]. Ainsi dans La Pandora, le narrateur écrit à propos d’une séduisante personne : «de la soie, de la ouate et des tulles, des perles et des opales ; on ne sait pas trop ce qu’il y a au milieu de tout cela, mais c’est si bien arrangé ! »[21]. Elle est qualifiée d’artificieuse. Ses deux cornes d’argent ciselé évoquent Isis ou Artémis, mais il s’agit d’une coiffure de théâtre. Pandora semble s’être grimée, elle qui danse aussi habillée en bayadère, donc en pseudo prêtresse de l’Inde : « Je critiquai sa boîte à malice et son ajustement de bayadère. » Elle paraît, elle est déguisée, mais qu’en est-il de l’authenticité de l’être ?

    Il existe peut-être pour Nerval une authentique vêture, une vêture rituelle, cultuelle, sacerdotale : celle que la jeune femme rencontrée dans Octavie prépare pour la madone noire aux oripeaux, celle que passent Sylvie et le narrateur de Sylvie, celle que met le prêtre, celle des prophètes et des élus des Ecritures saintes, une vêture symbolique d’une vraie connaissance, fondée sur l’érudition, sur une initiation rituelle et mystique.

    7.2. L’idole, ou l’héroïsme mystique ?

    Dans le deuxième paragraphe du récit, le narrateur évoque Vienne aussitôt après avoir évoqué Pandora. La ville offre un idéal spirituel ; « la bien gardée » est  inaccessible aux envahisseurs, comme sacrée ; et  à la pierre alchimique de Bologne répond la montagne « magnétique » ; à Pandora qui a su charmer ses admirateurs («… ô mes amis !  (...). Elle vous a laissé sans doute de bien cruels et doux souvenirs ») répond Vienne qui fanatise les paladins : « …le Magyar jaloux, le Bohême intrépide, le Lombard généreux mourraient pour te défendre aux pieds divins de Maria-Hilf ! ». A l’idée de mal et de chute associée au personnage de Pandora  répondent le caractère religieux de Vienne, de Maria-Hilf, du Saint-Graal mystique, le mâle dévouement des guerriers et leur sacrifice extatique. Ainsi le deuxième paragraphe évoque l’aspiration au divin et à l’héroïsme, et est une louange d’entités féminines (Vienne, Maria-Hilf) pour qui l’on meurt et non d’une actrice à cause de qui on tombe ; la louange de celle qui fait de vous un héros et non de celle qui vous humilie[22]. Il s’agit donc de substituer à une idole, Pandora, un véritable idéal.

    7.3. Le jeu amoureux , ou religion et virginité ?

    Pandora, sacrilège, plaisante avec l’amour et la religion («… ne plaisantons pas avec l’amour et la religion, car c’est la même chose, en vérité »[23]) et humilie le narrateur en lui faisant jouer le rôle d’un petit prêtre, alors qu’il rêve d’être, dans La Pandora celui de Diane[24] à Thoas. Le narrateur rêve également d’une autre divinité vierge, Maria-Hilf dont les pieds divins s’opposent au pied serpentin de Pandora, une déesse vierge, à l’inverse d’Imperia et à l’opposé de la légèreté de la comédienne. Ce qui est donc en jeu, ce que recherche le narrateur en la femme, c’est le sacré, et Pandora est loin de pouvoir assumer ce rôle.

    7.4. Charades et proverbes, ou vrai théâtre ?

    Le narrateur refuse ce qu’on veut lui faire jouer : « Je pris mon rôle avec humeur » (au sens de « je tins mon texte à la main ») ; je le suppose à la recherche d’une authenticité, celle du vrai théâtre, non du jeu mondain et puéril des proverbes et des charades qui sont une décomposition, une déstructuration vaine du verbe. On peut d’une part imaginer que le vrai théâtre serait le théâtre des mystères religieux, celui qui représente le mythe de Prométhée, ou les mythes de la déesse, par exemple ceux d’Artémis ou d’Isis.

    D’autre part, le narrateur nous renvoie aussi à sa dévotion pour le théâtre, au mythe de Brisacier, qui devant l’Etoile ne voulait que de grands rôles. Brisacier, comme le narrateur de Pandora, vit dans l’exaltation nerveuse et cherche des rôles authentiques qui lui permettent de s’identifier à de grands personnages, ceux qui s’élèvent à une dignité existentielle- tragique[25] ; « les belles phrases perlées de M Théodore Leclercq », les jeux théâtraux mondains du Palais de France, charades et proverbes, ne le permettent évidemment pas. Pandora elle-même n’offre que le jeu superficiel d’un flirt fait d’humiliations. En revanche les Memorabilia de Pandora, rêves où le narrateur se représente et dont plusieurs recoupent  des pièces de théâtre[26], offrent ce jeu où l’homme rencontre sa mort et sa vérité, et où le théâtre devient vérité supérieure[27].

    7.5. Révélations et libération de l’Humanité : les Memorabilia.

    Cette séquence de quatre rêves éveillés (« je ne pus dormir de la nuit ») que relate le narrateur de La Pandora,[28] d’aspect incohérent, est  cependant très structurée; en effet, dans chaque rêve une femme est dominée ou démasquée : Catherine II ; puis une femme évoquant une impératrice byzantine ou une sultane ; et enfin Imperia. Chaque rêve indique un désir de rétablir une vérité sacrée : le temple d’Artémis à Thoas, et probablement son culte, sont attribués au narrateur ; puis des prédictions erronées de nécromanciens sont dénoncées ; enfin, à Rome à la table sacrée est démasquée la Prostituée. Le premier rêve présente un personnage historique, le deuxième symbolise le monde de la magie, le troisième le monde de la religion. Chaque rêve se présente comme une épreuve, deux d’entre elles entraînant la mort du narrateur, puis, après le Déluge purificateur, son accès au Paradis : à Tahiti, sur une terre à l’opposé du monde occidental, là où on ne parle pas « la langue des hommes ».

    Ces rêves indiquent le désir de révéler une vérité et d’accéder au bout de longues épreuves au bonheur. C’est aussi ce que suggère l’allusion au mythe de Prométhée,  à la fin de Pandora  (« … le nom de Prométhée me déplaît toujours singulièrement, car je sens encore à mon flanc le bec éternel du vautour dont Alcide m’a délivré. »). Dans Lorely[29], récit des voyages de Gérard de Nerval en Allemagne, celui-ci rend compte du poème de Helder intitulé Prométhée délivré : Prométhée encloué souffre de voir le désordre du monde, les tourments de la race des hommes et les affres auxquelles n’échapperont pas les créateurs inspirés par Bacchus, jusqu’à ce que« l’harmonie suprême » à la faveur d’une « mystérieuse solution » apporte le bonheur ; puis Prométhée, délivré par Alcide, est mené vers sa mère Thémis et contemple enfin la «  justice suprême ». On retrouve ici le thème de la révélation à venir, et le bonheur est de retrouver la figure féminine ultime, la mère.

    Gérard de Nerval écrivit dans les Fragments d’Aurélia[30] « Je criai longtemps, invoquant ma mère sous tous les noms donnés aux divinités antiques ».  Dans Pandora, les allusions à Diane, Maria-Hilf, la bayadère aux cornes d’argent[31], bref une multiplicité de figures divines, reflètent cette profonde aspiration de Gérard de Nerval.

    7.6. Le mystère d’Aphrodite

                Nerval écrivit en exergue de Pandora une citation de Faust « Deux âmes hélas ! se partageaient mon sein et chacune d’elles veut se séparer de l’autre : l’une ardente d’amour, s’attache au monde au moyen des organes du corps, un mouvement surnaturel entraîne l’autre loin des ténèbres, vers les hautes demeures de nos aïeux. » Si l’on applique cette citation au récit, la comédienne Pandora représente la tentation mondaine, charnelle, ce qui s’attache au monde par le corps, (cf. ses blanches épaules, son pied malin, serpentin, ses vêtures magnifiques), l’obsession terrestre dont le narrateur est prisonnier alors qu’il est également la proie d’une tentation spirituelle, d’un désir d’initiation véritable : amour terrestre contre amour divin ; la proie également du  désir de tragique, du théâtre comme voie sacrée. De cette contradiction naît sa souffrance, qui est l’objet de la nouvelle. Les rêves des Memorabilia sont le mouvement surnaturel qui réalise l’accession au divin. Le narrateur est donc torturé (« O Jupiter ! quand finira mon supplice ? ») par une puissance charnelle qui n’a pas de statut mystique, par la sexualité, par une Pandora à la fois charmante (tout la désigne comme magiquement belle) et repoussante (le narrateur la fuit ; de plus « ses blanches épaules » sont «  huilées de la sueur du monde » : ses charmes, adressés au narrateur, le sont aussi au public).

                Le mythe de Pandora raconté par Gérard de Nerval pose à l’homme la question du mystère d’Aphrodite ; cette divinité vers laquelle l’être humain est puissamment attirée n’offre-t-elle que l’impasse de jeux superficiels ? Comment, elle qui engage si fondamentalement l’être humain peut-elle l’emmener sur des voies sublimes ? Aurélia sera la réponse.

    8. Conclusion

     

    Cette nouvelle  raconte l’errance de trois jours de crise, d’humiliation et d’exaltation nerveuse, celles-là même qu’éprouve l’Illustre Brisacier ; le narrateur de Pandora et le comédien vivent des situations comparables et lancent un appel au secours qui exprime une souffrance interminable.

     

    Pandora lie cette crise et la rencontre de la femme. Le narrateur renouvelle le mythe de Pandore en créant Pandora, la comédienne, l’être aux multiples vêtures, une figure de l’apparence trompeuse, une créature qui sous couvert de beauté, en vient à symboliser la crise nerveuse : elle est un « tout cela » indéchiffrable, un nœud de secrets et de non-dits ; à ce moment-là, elle peut bien n’être ni homme ni femme, car elle devient un phénomène, le mal du narrateur, un complexe cristallisé, un tout obsédant, pan-dora, « tous les dons » : chimère, amour, humiliation, échec, présence rêvée de la mort, souffrance sans fin.

     

    Par ailleurs Pandora indique la frustration ontologique, l’impossibilité d’accéder à l’héroïque et au tragique, au vrai théâtre, à la vérité libératrice mystique.

    Pour le faire comprendre, le narrateur reprend les thèmes évoqués par ses autres récits : l’histoire de l’Illustre Brisacier, le mythe du Prométhée libéré de Helder, la quête d’Aurélia, invitant le lecteur (« ô mes amis ! ») à penser Pandora comme une pièce autonome à lire dans un ensemble, comme une œuvre d’art répondant à un projet littéraire spécifique, fondée sur les jeux de miroir et d’emboîtements avec d’autres textes, démultipliant ainsi ses significations. Le narrateur invite également ses amis, par cette confidence, cette plainte, cet appel au secours émouvant qu’est Pandora, à entrer dans la compassion, à le comprendre et à le reconnaître, en lisant, dispersées avec pudeur dans son œuvre entière, les traces de sa souffrance.

     

     


    [1]              C’est en 1982 que Jean Guillaume établit l’existence de cette version, qu’il intitula la Pandora pour la différencier du texte final qu’en 1968 il avait établi et intitulé Pandora.

    [2]              Nerval avait souhaité que le texte soit accompagné de vignettes représentant entre autres la Pandora en bayadère, les pieds serpentins de celle-ci, une boîte à malice. Ces vignettes ont été publiées en 1852 par le journal L’Eclair (Lettre à Daniel Giraud du 30 novembre 1853 ; indications reprises par Béatrice Didier dans ses Commentaires, dans Aurélia, suivi de Lettres à Jenny Colon, de La Pandora et de Les Chimères, Livre de Poche, 1972, page 236).

    [3]              Publié par Aristide Marie et Pierre Audiat.

    [4]              Notice du Voyage en Orient, par Jean Guillaume et Claude Pichois, Pléiade, édition  1984, page 1369.

    [5]              « L’hiver à Vienne avec Gérard », extrait de Gérard de Nerval. Souvenirs intimes paru dans L’Evénement du 16 avril 1881, cité dans Archives nervaliennes n° 6  « Alexandre Weill. Six mois à Vienne et Témoignages sur Gérard de Nerval (1838-1840) » réuni et présenté par Jean Richer, pages 99 à 101.

    [6]              Pléiade, édition 1974, page XXXIII, édition annotée par Albert Béguin et Jean Richer.

    [7]              L’édition définitive de Voyage en Orient fut publiée en 1851 « Il est inutile de chercher des précisions d’ordre biographique dans ce récit romanesque. »(Notes au Voyage en Orient par Jean Guillaume et  Claude Pichois, Pléiade, édition 1984, note 4, page 1423).

    [8]

    [9]              « Ceci est un fragment d’une lettre confidentielle adressée à M. Théophile Gautier, qui n’a vu le jour que par suite d’une indiscrétion de la police de Vienne », fin de la lettre à Dumas du 2 ou 3 novembre 1854, page 1290, Pléiade édition 1993, tome III.

    [10]             L’abbé Guillaume « énumère Catherine Colossa, Jenny Lutzer, Mme Schenk, Camille Moke, Esther de Bongars, George Sand » (édition de la Pléiade 1974, page 1318, note 1, d’Albert Béguin et Jean Richer).

    [11]             Octavie, page 605, Pléiade, édition 1993, tome III.

    [12]             Lorely, page 3, Pléiade, édition 1993, tome III.

    [13]             Lorely, page 4, Pléiade, édition 1993, tome III.

    [14]             Préface des Filles du Feu dédiée à Alexandre Dumas, page 456,  Pléiade, édition 1993, tome III.

    [15]             Ce thème de la révélation se retrouve dans les Memorabilia de Pandora. Cf. le dans ce texte le  paragraphe 7.5. « Révélations et libération de l’Humanité : les Memorabilia. »

    [16]             Il y a dans Pandora, une allusion humoristique à Dalila : c’est ainsi qu’est qualifiée, Rosa, la maîtresse de l’ami du narrateur («… j’avais à Vienne un ami. C’était un garçon fort aimable, un peu fou… »  il chante une romance : « Le malheureux s’accompagnait d’une guitare, ce qui n’est pas encore ridicule à Vienne … »). 

    [17]            -celle de devoir jouer le rôle d’un abbé en triste costume.

                    -l’impossibilité de forcer la porte de Pandora, lorsque celle-ci demande à Röschen de le laisser dehors s’il ne vient pas vêtu de noir : une simple servante l’y consignerait ? Que n’auraient pas fait le ComteAlmaviva ou Dom Juan ?

                    -celle de la pauvreté.

                    -celle de jouer des charades, entre autres, le rôle d’un comédien de province.

                    -le fait d’échouer dans ce rôle.

                    -le fait de ne pouvoir démasquer Pandora comme il le fait des femmes de ses rêves.

                    -le fait de ne pas réaliser le duel avec le prince son rival

                    -il questionne « humblement » Pandora à Dorothée-Gasse.

                    -celle d’avoir à jouer le rôle de la Vieille ou de Valbelle.

                    On relève dans la Pléiade, édition 1993, tome III, page 663: « humblement », « confusément », « honteusement ».

    [18]         . « Les rues étaient pleines de Lombards, de Bohêmes et de Hongrois en costume. Les diamants, les rubis et les opales étincelaient sur leurs poitrines… » ; « …des foules d’huissiers à chaînes d’argent et d’heiduques galonnés… »,  Pandora, Pléiade, édition 1993, tome III, page 659.

    [19]             Elles sont innombrables dans la nouvelle : « les boutiques, illuminées regorgeaient de visiteuses » ; le narrateur rencontre ou évoque successivement Maria-Hilf, Marie-Thérèse, l’archiduchesse Sophie, la Diane Valoise, ses belles cousines, Pandora, Röschen,, Rosa, des blanchisseuses, la Kathi, Wahby la Bohême, une fille charmante, une décrotteuse, Mlle Lutzer, la femme « vue au commencement des siècles », Impéria, trois tahitiennes, sans oublier l’autre mystérieuse.

    [20]             Une pandora était une poupée mannequin qui permettait de présenter des costumes de ville en ville ; Pandora est suspectée de n’être que poudre aux yeux.

    [21]             Pléiade édition 1993, tome III, page 1292.

    [22]         Cette opposition peut recouvrir la distinction de l’exergue : « Deux âmes, hélas ! se partageaient mon sein, et chacune d’elles veut se séparer de l’autre : l’une, ardente d’amour, s’attache au monde par le moyen des organes du corps ; un mouvement surnaturel entraîne l’autre loin des ténèbres, vers les hautes demeures de nos aïeux ». Je propose de rattacher Pandora à l’amour, au monde et aux organes du corps- à la sensualité, et de rattacher Vienne et Maria-Hilf au surnaturel, loin des ténèbres, et les paladins aux aïeux. Je reprends cette opposition dans ce texte au point 4.6. Le mystère d’Aphrodite.

     

     

    [23]             Gérard de Nerval a écrit dans une des Lettres à Jenny Colon : « Jamais je n’ai été si convaincu de cette vérité, que mon amour pour vous est ma religion ».  Lettres à Jenny Colon, lettre XI, page 766, la Pléiade édition  1974. Affirmation sincère ou compliment précieux ?

    [24]            Quelques allusions concernent ou peuvent concerner Diane et montrent l’importance de son thème :

                    -l’exergue de La Pandora : « Philis ! reprends tes traits,

                       Viens t’égarer dans la forêt ! » (Pléiade, édition 1993, tome III, page 1291).

                    -« rêvant à la Diane des Valois qui protège les Médicis »

                    -« mes cousines, ces deux intrépides chasseresses que je promenais autrefois dans les bois »

                    -« j’ai attendri de mes chants d’amour les biches timides et les faisans privés »

                    -« m’attachant des pattes de cerf »

                    -« la taverne des Chasseurs »

                    -« le temple de Thoas »

                    -« je la voyais dansant toujours avec deux cornes d’argent ciselé »

                    - la Saint-Sylvestre nous renvoie à silva, la forêt, donc au domaine de Diane.

                    Toutes ces allusions renvoient aux doux et apaisants souvenirs des amours passées, au temps  perdu des marches évoquées au début de Pandora , ces chasses heureuses de l’enfance, quand le narrateur cheminait des bois du Valois à ceux de Saint-Germain  sous l’égide de Diane : « Le souvenir de mes belles cousines, ces intrépides chasseresses que je promenais autrefois dans les bois, belles toutes deux comme les filles de Léda, m’éblouit encore et m’enivre. »

    [25]             Jouant Achille dans Iphigénie, Brisacier déclare : « C’est qu’à la place d’une froide princesse de coulisse, élevée à psalmodier tristement ces vers immortels, j’avais à défendre, à éblouir, à conserver une véritable fille de la Grèce, une perle de grâce, d’amour et de pureté, digne en effet d’être disputée par les hommes aux dieux jaloux ! ». Jouant Britannicus : « Néron ! Je t’ai compris, hélas ! non pas d’après Racine, mais d’après mon coeur déchiré quand j’osais emprunter ton nom ! Oui,! tu fus un dieu, toi qui voulais brûler Rome, et qui en avais le droit, peut-être, puisque Rome t’avait insulté !... » Lettre dédicace à Alexandre Dumas, Les Filles du Feu, Pléiade, édition 1993, tome III, pages 454 et 455.

    [26]             Les notes d’Albert Béguin et Jean Richer (Pléiade, édition 1974, pages 1321-1322) signalent : Martha ou le marché de Richmond,  de Friederick et Flottow, d’après M. Senelier,(Archives des lettres modernes, n°49, 1963), les Iphigénie en Tauride d’Euripide et de Goethe, L’Imagier de Harlem de Gérard de Nerval lui-même, le « Déluge, opéra en trois actes » œuvre citée dans Pandora mais imaginée à partir du « Diorama de Bouton ».  Par ailleurs le narrateur de Pandora a cette phrase, à propos du conclave où trône Imperia : « Puis un craquement se fit entendre dans la salle » jouant de façon ambiguë sur le sens du mot « salle ».

    [27]             Brisacier ajoute, à propos de la présence réelle de la divinité dans le comédien : « Ne jouons plus avec les choses saintes, même d’un peuple et d’un âge éteints depuis si longtemps, car il y a peut-être quelque flamme encore sous les cendres des dieux de Rome !... » Lettre dédicace à Alexandre Dumas, Les Filles du Feu, Pléiade, édition 1993, tome III, page 456.

    [28]             Pandora comporte un rêve de moins que La Pandora : celui qui met en scène Catherine II ; les autres rêves se déroulent, le premier à Stamboul, le deuxième à Rome, le troisième à Tahiti.

    [29]             Pléiade, édition 1993, tome III, pages 57 à 59 ; Nerval y relate la représentation à Weimar du poème de Herder, Prométhée délivré, à laquelle il n’a pas assisté ; mais il en avait demandé la relation à Liszt.  « Liszt avait mis en musique les chœurs en faisant précéder l’ouvrage d’une ouverture. Les vers du poème étaient déclamés. »

    [30]               « Fragments d’une première version d’Aurélia»,  la Pléiade édition 1974, page 424.

    [31]             « La divinité de mes rêves m’apparut souriante, dans un costume presque indien, telle que je l’avais vue autrefois.». Aurélia, II, 6,  page 745, Pléiade, édition 1993, tome III. Ce costume presque indien n’est-il pas celui de la bayadère de Pandora ?


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